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La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage : garant de la sécurité judicaire pour les investisseurs en Afrique ? Patrick Lufuma Luvuezo, juin 2012

 Plan provisoire

 

I.                   Introduction

II.                Description des aspects du fonctionnement de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage qui visent à sécuriser les investisseurs

II. 1.     A propos du contentieux relatif à l’interprétation et à l’application du traité des actes  uniformes

II.1.1. Analyse de lege lata

II.1.2. Analyse de lege feranda

II.2. A propos de l’arbitrage

II.2.1. Analyse de lege lata

II.2.2. Analyse de lege feranda

III.     Quelques garanties de la sécurité  judiciaire ayant trait à la procédure proprement dite devant la C.C.J.A.

      III.1.  Le Ministère de l’avocat

     III.2.  Le caractère écrit de la procédure

IV.             Quelques garanties de la sécurité judiciaire ayant trait au statut des Membres et des autres employés de la C.C.J.A.

V.                 Plaidoyer pour une décentralisation administrative de la C.C.J.A.

    VI. Conclusion

 

I. Introduction

 

 

Le traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, signé à Port Louis le 17 octobre 1993, institue un véritable système juridique dont la finalité est en substance de conforter  dans le continent africain, un état de droit favorable au développement économique.

 

Afin de réaliser cette finalité, le traité précité poursuit deux objectifs à savoir d’une part l’adoption des règles modernes et adaptées aux économies locales, et d’autre part le développement des procédures judiciaires appropriées ainsi que la promotion de l’arbitrage.

 

C’est dans ce contexte que nait le droit dérivé de l’activité normative ou juridictionnelle selon le cas des institutions mises en place au sein de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, en sigle l’O.H.A.D.A. En effet, l’O.H.A.D.A. compte deux principales institutions, l’une législative à savoir le Conseil des ministres assisté d’un secrétariat permanent auquel est rattachée une Ecole Régionale Supérieure de la Magistrature, l’autre juridictionnelle à savoir la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.

 

Nous proposons, dans cette contribution, d’analyser les mécanismes de fonctionnement de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Cette analyse sera faite en deux temps, d’abord un examen descriptif  vantant certes les mérites de cette institution par rapport la sécurité que son fonctionnement offre aux investisseurs étrangers. Nous nous efforcerons à travers cette analyse  à  adopter une approche critique soulignant les limites des règles de fonctionnement cette institution à la lumière de la finalité du traité O.H.A.D.A. et de son double objet.  Ensuite, nous esquisserons quelques propositions d’amélioration destinées à l’appréciation du législateur O.H.A.D.A.

 

 

II. Description des aspects du fonctionnement de la C.C.J.A. qui visent à sécuriser les investisseurs

 

L’harmonisation est le maître mot du traité O.H.A.D.A. En effet cette harmonisation serait vaine en l’absence d’une unité  juridictionnelle et de jurisprudence. Le législateur O.H.A.D.A. a en effet institué la C.C.J.A. avec la volonté d’en faire le catalyseur de cette double unification.

 

L’unification juridictionnelle et jurisprudentielle est certes un gage de sécurité judiciaire pour les investisseurs en Afrique, mais ce n’est pas la seule garantie car les procédures judiciaires organisées au sein de la C.J.C.A. doivent satisfaire les exigences et les réalités du monde des affaires. En effet, les investisseurs ne sont pas des justiciables comme les autres, ils sont pressés par le temps, ils s’accommodent mal des tracasseries judiciaires, et en bon business men,  ils sont en général enclins à minimiser les dépenses en ce compris les coûts des procédures en justice. Les règles de fonctionnement de la C.J.C.A. rencontrent-elles ces exigences ?

 

Le traité O.H.A.D.A. confie deux contentieux distincts à la C.J.C.A. à savoir d’une part le contentieux relatif à l’interprétation et à l’application des actes uniformes et l’arbitrage  d’autre part. Nous examinons, ci bas, les règles propres à chaque contentieux.

 

Afin de mieux analyser les règles régissant les deux contentieux de la C.C.J.A., il convient de prime abord, de cerner la nature juridique du droit de l’O.H.A.D.A. Rappelons-le, le traité et les actes uniformes constituent, nous semble-t-il, le droit primaire O.H.A.D.A., tandis que les règlements du Conseil des Ministres et la jurisprudence de la C.C.J.A. et des juridictions de fond des Etats membres résultant de l’application du droit O.H.A.D.A. en constitue le droit dérivé.

 

 Du point de vue du droit des organisations internationales, l’O.H.A.D.A. ressemble à s’y méprendre à l’union européenne qui est une organisation internationale sui generis. En effet, et l’union européenne et l’O.H.A.D.A., se caractérisent toutes les deux, d’une part par une forte intégration des Etats membres dans les matières concernées, et d’autre part par l’existence des institutions habilitées à adopter des normes unilatérales immédiatement applicables.

 

La doctrine a qualifié le droit de l’union européenne de droit supranational. En effet, ce vocable a été choisi à souhait afin d’expliquer que ce droit se démarque des autres sources du droit international en ce que ses normes prévalent des manières unilatérale et directe sur les droits nationaux.

 

Il y a, nous semble-t-il, également lieu de qualifier le droit O.H.A.D.A. de droit supranational à l’instar du droit de l’union européenne, et ce, pour deux raisons :

 

-d’une part, le traité O.H.A.D.A. et les actes uniformes prévoient effectivement leur prééminence sur les dispositions prévues par les droits nationaux pour les matières relevant désormais du droit O.H.A.D.A. ;

 

-d’autre part, le droit O.H.A.D.A., tant primaire que dérivé, a, toujours aux termes du traité O.H.A.D.A. et des ses actes uniformes, un effet direct c’est-à-dire qu’ils s’insèrent, sans aucune formalité préalable requise, dans les ordonnancements juridiques des Etats membres de l’O.H.A.D.A.

 

II.1. A propos du contentieux relatif à l’interprétation et à l’application du traité et des actes uniformes

 

L’article 14, alinéa 3 du traité et l’art28-c du règlement de la procédure déclarent que la C.C.J.A. est compétente pour les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au Traité tandis que l’article 15 du Traité ( relatif aux seuls «  pourvois » en cassation) ne fait référence qu’aux seuls Actes uniformes.

 

Plutôt que de considérer que ces deux dispositions sont antinomiques, nous pensons qu’elles visent deux hypothèses distinctes et voisines du contentieux confié à la C.C.J.A. En effet, un recours en cassation porté devant la C.C.J.A. peut avoir deux enjeux différents :

 

-soit le débat peut porter sur la question de savoir si le juge de fond d’un Etat membre a fait une correcte interprétation ou une juste application des dispositions prévues dans les actes uniformes ;

 

-soit la question à trancher peut être de savoir si le juge de fond n’a pas, à travers son jugement, contrevenu à une disposition du traité ou d’un règlement pris en vertu du traité.  

 

Il va sans dire que l’unité et la cohérence dans l’application du droit O.H.A.D.A. est le principal élément de la sécurité judiciaire que le législateur O.H.A.D.A. a voulu garantir aux investisseurs.

 

La C.C.J.A. a en charge d’assurer cette unité et cette cohérence. Cette mission est évidemment politique et technique. Nous ne nous intéresserons, dans les lignes qui suivent, qu’aux aspects techniques de cette tâche, voire précisément à la question de savoir quels sont les outils que le traité a mis à la disposition de la C.C.J.A. Notre démarche sera à la fois descriptive et critique dans le sens où après avoir décrit ces différents outils, nous les évaluerons à la lumière de l’exigence de sécurité judiciaire pour les investisseurs.

 

II.1.1. Analyse de lege lata

 

L’article 13 du traité consacre le maintien de la compétence des juridictions nationales du fond pour juger des différends relatifs aux Actes uniformes en première instance et en appel. Afin d’assurer aux magistrats nationaux une formation spécialisée en droit uniforme des affaires, une Ecole régionale supérieure de la magistrature est prévue (art. 11 du traité).

 

Il ressort de la lecture du traité que le législateur O.H.A.D.A. a, en ce qui concerne le contentieux relatif à l’interprétation du traité et des actes uniformes, mis à la disposition de la C.C.J.A. des outils de fonctionnement afin de renforcer son rôle de garant de la sécurité judiciaire. Nous avons recensé quatre outils principaux suivants :

 

  1. la consécration expresse de la C.C.J.A. comme juridiction supranationale ;
  2. la dépossession totale de la compétence de la cassation judiciaire dans les matières concernées au détriment des juridictions judiciaires de cassation nationales au profit de la C.C .J.A ;
  3. La dépossession  en faveur de la C.C.J.A.  de la compétence de fond au détriment des juridictions judiciaires nationales dans l’hypothèse où il y a cassation. ;
  4. la compétence d’avis reconnue à la C.C.J.A.

 

 

  1. Consécration expresse dans le traité O.H.A.D.A. de la C.C.J.A. comme juridiction supranationale

 

 

L’article 20 du traité O.H.A.D.A. consacre on ne peut plus clairement l’imperium supranational de la C.C.J.A. en ces termes :

 

«  Les arrêts de la Cour commune de justice et d’arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Ils reçoivent sur le territoire de chacun des Etats parties une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions juridiques nationales. Dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la Cour commune de justice et d’arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un Etat partie. »

 

Cette disposition consolide la C.C.J.A. dans son rôle de garant de la sécurité judiciaire pour les investisseurs. De manière systématique, trois grands principes découlent de cette disposition à savoir :

 

-          la supériorité de la C.C.J.A. sur les juridictions nationales. En effet, « dans une même affaire », précise l’article 20 du traité, aucune décision contraire à un arrêt de la C.C.J.A. ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un Etat partie ». En d’autres termes, la C.C.J.A. a non seulement une compétence exclusive dans les matières concernées par le traité O.H.A.D.A. mais aussi une compétence judiciaire supérieure à celle des juridictions nationales, et ce, dans tous les pays membres ;

 

En confiant à la C.C.J.A. un imperium supranational, les pères du traité, estime J. LOHOUES-OBLE[1],  ont pensé qu’un détachement des décisions de cette juridiction de tout ordre juridique national peut exercer une certaine séduction à l’égard des investisseurs étrangers. En effet, la plupart des ordres judiciaires nationaux africains déchantent les investisseurs par leur réputation de corruptibles et leurs difficultés de fonctionnement. Ce déficit de crédibilité n’est pas un facteur sécurisant pour les investisseurs. L’érection de la C.C.J.A. au sommet des pyramides judiciaires nationaux dans les matières concernées par le traité O.H.A.D.A. permet effectivement d’apaiser les inquiétudes des investisseurs.

 

L’article 16 du traité affirme, on ne peut plus clairement la supériorité de la C.C.J.A. sur les juridictions nationales de cassation. En effet, la saisine de la C.C.J.A. suspend toute procédure de cassation engagée devant une juridiction nationale contre la décision attaquée. Cette procédure ne peut reprendre qu’après que la C.C.J.A. se soit déclarée incompétente pour connaître de l’affaire. Néanmoins, cette règle ne porte pas préjudice aux poursuites d’exécution, ce qui est conforme au principe selon lequel un pourvoi en cassation ne suspend pas l’exécution des décisions rendues en dernier ressort.

 

 Nous pensons que c’est une bonne chose que la C.C.J.A. tire sa supériorité judiciaire directement du texte même du traité. Ainsi, nous semble-t-il, la légitimité de cette supériorité en sort renforcée. Il n’eût été pas le cas s’il eût fallu que cette supériorité soit consacrée de manière jurisprudentielle.

 

-la force exécutoire des arrêts de la C.C.J.A. En effet, au terme de l’article 20 du traité, les arrêts de la C.C.J.A. ne doivent pas être « exequaturés » car ceux-ci sont, par l’effet du traité, assimilés aux décisions rendues par les juridictions nationales. La procédure d’exequatur est en principe exigée afin qu’une décision judiciaire rendue par un juge d’un Etat « x » donne lieu à un acte d’exécution sur les biens, ou à des actes de coercition sur les personnes dans un autre Etat « y ». Le juge de l’Etat « y » saisi dans le cadre d’une procédure dite en exequatur qui est souvent longue, coûteuse et dont l’issue est incertaine, doit se prononcer, préalablement à toute mesure d’exécution sur son territoire, du jugement rendu par le juge de l’Etat « x ». Or,  en consacrant la force exécutoire des arrêts de la C.C.J.A., le législateur O.H.A.D.A. permet aux justiciables de faire l’économie de la procédure d’exequatur et de ses avatars précités.

 

Cependant l’article 20 du traité doit être lu en combinaison avec les articles 42 et 46 du Règlement de la procédure devant la C.C.J.A. En effet ces deux dispositions du Règlement de la procédure complètent l’article 20 du traité en prévoyant respectivement que l’arrêt a force obligatoire à compter du jour de son prononcé et que la formule exécutoire est apposée sans autre contrôle que celui de la vérification de l’authenticité du titre par l’autorité nationale. En d’autres termes, le recours à la procédure nationale d’exequatur n’est pas requis pour les arrêts de la C.C.J.A. mais une formalité nationale reste toutefois nécessaire à savoir l’apposition de la formule exécutoire de l’autorité nationale compétente que chaque partie doit d’abord désigner et ensuite tenir la C.C.J.A. informée de cette désignation. Dans plusieurs Etats, c’est le greffier en chef de la plus grande juridiction de fond qui est désigné. Dans certains Etats, c’est la direction des affaires civiles et pénales de la chancellerie.

 

Le législateur O.H.A.D.A. a prévu la formalité d’apposition de la formule exécutoire par les autorités nationales ad hoc pour une raison de cohérence. En effet, comme l’exécution manu militari d’une décision de justice met en cause la responsabilité politique et juridique des autorités qui procèdent à l’exécution, il est cohérent que ces mêmes autorités soient habilitées d’apposer la formule exécutoire à la décision qu’elles exécutent.

 

Nous pensons que cette cohérence recherchée est une limite à l’imperium supranational de la C.C.J.A. Comme l’écrit à juste titre le Professeur J. LOHOUES-OBLES[2], cet imperium ne serait achevé que si la force exécutoire des arrêts était intrinsèque, autrement dit que s’ils ne devaient pas passer par l’apposition de la formule exécutoire nationale. En effet, en droit comparé, les juridictions supranationales telle par exemple la Cour de justice des communautés européennes rendent aussi des arrêts qui ont force exécutoire dans les Etats membres de l’Union européenne sans bien entendu qu’une procédure d’exequatur soit requise, ni qu’il faille recourir à une formalité d’apposition de la formule exécutoire par les autorités nationales.

 

-l’autorité de la chose jugée attachée aux arrêts de la C.C.J.A. En effet, sous réserve des voies de recours, la même chose ne peut être jugée entre les mêmes parties dans un procès. Les articles 47 et 49 du Règlement de la procédure disposent que les arrêts rendus par la C.C.J.A. ne peuvent faire l’objet que des voies de recours extraordinaires

que sont la tierce opposition et la révision. Une convention internationale d’entraide judiciaire n’est pas nécessaire entre les Etats membres de l’O.H.A.D.A. car l’autorité de la chose jugée des arrêts de la C.C.J.A. s’applique dans tous ces Etats.

 

 

  1. La dépossession totale de la compétence de la cassation judiciaire dans les matières concernées au détriment des juridictions judiciaires de cassation nationales au profit de la C.C.J.A.

 

L’article 14 du traité O.H.A.D.A. dispose que saisie par la voie du recours en cassation, la Cour commune de justice et d’arbitrage se prononce sur les décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires relatives à l’application des Actes uniformes et des règlements prévus dans le Traité. Il s’agit d’un grand bouleversement du droit judiciaire privé des Etats membres de l’O.H.A.D.A. car selon l’article 2 du traité, les actes uniformes embrassent la quasi-totalité du droit privé.

 

Il résulte donc un dépouillement de la plupart des compétences de cassation judiciaire, dans les matières visées par le droit de l’O.H.A.D.A., des juridictions de cassation nationales au profit de la C.C.J.A. Ce transfert de contentieux est, pensons-nous, le prix que les Etats signataires du traité O.H.A.D.A. ont estimé juste à payer afin de garantir une sécurité judiciaire aux investisseurs.

 

Il y a lieu de souligner, à la faveur du traité O.H.A.D.A.,  qu’en droit comparé l’intégration  des ordres judiciaires des Etats membres est plus qu’achevée. En effet, d’autres juridictions supranationales telles que la Cour de justice des communautés européennes voire la Cour européenne des droits de l’homme ne se sont pas, dans leurs principes de fonctionnement, substituées aux juridictions de cassation des Etats membres. Ces deux juridictions supranationales coexistent avec les juridictions de cassation nationales. Or, en droit O.H.A.D.A., les juridictions nationales de cassation  sont mises hors du jeu judiciaire alors que la C.C.J.A. entre dans ce jeu à leurs places.

 

Nous  ne pouvons que saluer l’audace des pères fondateurs du traité O.H.A.D.A. qui, nous semble-t-il, ont joué le jeu de l’intégration judiciaire parfaite. En effet cette intégration judiciaire parfaite consolide la sécurité judiciaire au sein de l’espace O.H.A.D.A.

 

La C.C.J.A. est amenée à exercer de manière exclusive la mission de juge de cassation dans le contentieux  de l’O.H.A.D.A.  Cette mission est à la fois juridique et disciplinaire.

 

Pour rappel, le juge de cassation assume la mission de gardienne des lois et de la légalité. Cette mission a une double facette : juridique d’une part et disciplinaire d’autre part. L’essence juridique de cette  mission tient au fait que par le truchement et à l’occasion du contrôle de légalité sur les décisions déférées à sa censure, le juge de cassation est amené à veiller au maintien de l’unité de l’interprétation de la loi par l’ensemble des cours et tribunaux où qu’ils se trouvent et quelles que soient les personnes qu’ils jugent. Selon le Bâtonnier MATADI[3], cette mission se résume non seulement dans la sauvegarde de la sécurité juridique c’est-à-dire dans sa préservation mais aussi dans la prise des décisions de principe qui énoncent des règles générales qui complètent les lois. Les arrêts de principe sont souvent, ajoute-t-il, la manifestation de la nécessaire évolution du droit dans sa modernisation. Il en serait ainsi, par exemple, d’un éventuel arrêt de principe de la Cour sur la recevabilité d’un appel formé par courrier électronique.

 

Certains auteurs[4] estiment qu’à l’acception classique de l’essence juridique de la mission du juge de cassation à savoir celle d’assurer l’application et l’interprétation exactes et uniques de la loi, le juge de cassation est de par son activité jurisprudentielle, amené à exercer un contrôle sur la forme du raisonnement judiciaire. C’est la fonction disciplinaire confié au juge de Cassation. Cette autre fonction du juge de cassation recouvre le contrôle de la motivation, celui de l’interprétation des actes juridiques privés par le biais de la théorie de la violation de la foi due aux actes ou par le biais de la théorie de la dénaturalisation et enfin de la censure de la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité. A travers ce contrôle, le juge de cassation veille de manière générique à ce que les décisions des juges de fond répondent aux exigences d’une bonne administration de la justice ou qu’elles obéissent à une logique du raisonnement.

 

En tant que juge de la légalité, le juge de cassation n’est pas totalement étranger aux faits d’une cause. En effet, il apprécie aussi la légalité des procédés par lesquels le juge du fond a abouti à ses conclusions quant aux faits.[5] Nous espérons que la C.C.J.A. intègrera dans son fonctionnement comme juge de cassation, le contrôle de la construction quant aux faits effectuée par les juridictions de fond nationales.

 

En vertu de l’article 15 du traité, les pourvois en cassation devant la C.C.J.A. ne peuvent être introduits que soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une juridiction nationale statuant en cassation.

 

 

  1. La dépossession  en faveur de la C.C.J.A.  de la compétence de fond au détriment des juridictions judiciaires nationales dans l’hypothèse où il y a cassation. 

 

Le traité O.H.A.D.A. a sensiblement remodelé la technique de la cassation. En effet, le cinquième alinéa de l’article 14 du traité prévoit qu’en cas de cassation, la C.C.J.A évoque la cause et statue sur le fond. Il s’agit d’une innovation car dans plusieurs systèmes juridiques, lorsqu’un arrêt de cassation est rendu et qu’il reste un litige à juger inhérent à la cause, le juge de cassation renvois celle-ci auprès d’un autre juge que celui qui a rendu la décision cassée afin que ce dernier se prononce à nouveau quant au  fond de la même affaire en tirant l’enseignement de l’arrêt de cassation rendu. En effet, c’est la conséquence du principe selon lequel le juge de cassation ne connaît en principe pas du fait mais du droit.

 

Deux conséquences majeures résultent de l’article 14 du traité : d’une part la C.C.J.A. est alors un troisième degré de juridiction ; d’autre part elle statue sans renvoi. La règle, explique LOHOUES-OBLE[6], présente l’avantage de faire gagner du temps et d’éviter les divergences de solutions qui proviendraient des différentes Cours d’appel des Etats parties et le risque d’un deuxième pourvoi devant la C.C.J.A. Elle traduit la volonté des rédacteurs du Traité d’unifier la jurisprudence, d’où l’intérêt de publier les arrêts de la Cour dans un recueil spécialement prévu à cet effet (article 12 du Règlement).

 

  1. la compétence d’avis reconnue à la C.C.J.A.

 

Cette compétence est consacrée par l’article 14 alinéa 2 du traité qui dispose que la C.C.J.A. peut être consultée par tout Etat Partie ou par le Conseil des Ministres sur toute question portant sur l’interprétation et l’application du traité, des règlements et des actes uniformes. Les juridictions nationales peuvent aussi saisir la Cour et solliciter de celle-ci un avis lorsqu’elles sont saisies d’une cause conformément à l’article 13 du traité.

 

Les avis rendus par la C.C.J.A. sont consultatifs c’est-à-dire que ceux-ci ne lient en principe pas les demandeurs d’avis.

 

La possibilité que les juridictions sollicitent des avis auprès de la C.C.J.A. est une excellente prévision susceptible de favoriser une meilleure interprétation des actes uniformes. C’est aussi une meilleure façon pour le juge de fond de prévenir une éventuelle cassation de son jugement par la C.C.J.A.

 

Nous pensons que le fait que l’initiative des demandes d’avis ne soit pas reconnue aux parties  à la cause et à leurs avocats constitue une carence nuisible à l’effectivité du mécanisme d’avis par la C.C.J.A.

 

 

II.1.2. Analyse de lege feranda

 

De manière globale, la C.C.J.A. est suffisamment outillée pour garantir la sécurité judiciaire dans l’espace O.H.A.D.A. Cependant comme toute œuvre humaine, l’organisation du fonctionnement de la C.C.J.A. dans le cadre du contentieux relatif à l’interprétation et à l’application du traité et des actes uniformes reste perfectible. Afin de l’améliorer, nous proposons au législateur O.H.A.D.A. de réfléchir aux propositions suivantes :

 

  1. la suppression de l’obligation de faire apposer, aux arrêts de la C.C.J.A. aux fins de leur exécution dans les Etats membres, une formule exécutoire par les autorités nationales ad hoc  

 

Nous pensons que cette formalité doit purement et simplement être supprimée conformément à l’esprit du traité O.H.A.D.A. qui fait de la C.C.J.A. une juridiction dotée d’un imperium supranational. En conséquence, les arrêts rendus par cette juridiction doivent être  exécutoires  de plein droit sur les territoires des Etats membres au même titre que les décisions rendues par les juridictions nationales.

 

En effet, nous pensons qu’il n’est pas cohérent qu’un arrêt ordonnant la cassation d’un arrêt rendu par une juridiction d’appel d’un Etat membre nécessite l’apposition d’une formule exécutoire alors que l’arrêt cassé  est censé être exécutoire sans formalité.

 

  1. L’instauration d’un mécanisme des questions préjudicielles

 

Le législateur O.H.A.D.A ferait œuvre utile en confiant à la C.C.J.A. la compétence pour statuer sur les questions préjudicielles émanant des juridictions nationales. Certes le traité reconnait à ces dernières de solliciter les avis à la C.C.J.A., mais il nous semble que les recours à des questions préjudicielles permettront à la C.C.J.A. de mieux assurer une interprétation homogène des actes uniformes. Et en sus, par ses arrêts rendus sur questions préjudicielles, la C.C.J.A. limitera sensiblement les pourvois en cassation.

 

En effet, à l’occasion d’un litige particulier dont l’enjeu sera l’application du droit O.H.A.D.A., n’importe quel juge national saisi d’un moyen pris par l’une des parties à la cause, de la violation d’une disposition du traité, des actes uniformes voire d’un règlement, devra poser à la C.C.J.A. une question préjudicielle afin de permettre à celle-ci de se prononcer sur l’interprétation à donner sur la disposition du droit O.H.A.D.A. en question ou sur la l’application qu’il faudra en faire au cas d’espèce. Le juge national sera lié par la réponse de la Cour qui se prononcera par un arrêt dit préjudiciel, c’est-à-dire, que la Cour dira le droit ou tranchera une contestation relative à l’interprétation ou à l’application du droit au travers la réponse qu’elle réservera à la question lui posée à titre préjudiciel.

 

Il en résulte que les arrêts préjudiciels auront une valeur jurisprudentielle, c’est-à-dire qu’à l’occasion des litiges subséquents, les juges saisis dans les espèces identiques à celle ayant occasionné l’arrêt préjudiciel pertinent, s’y conformeront. Ils feront ainsi l’économie de poser une nouvelle question à la C.C.J.A. tant qu’ils retiendront en l’espèce une identité d’objet entre une question que l’une des parties lui demande de poser à la C.C.J.A. et une question préjudicielle précédente.

 

Les arrêts rendus sur questions préjudicielles pourront faire l’objet d’une publicité au même titre que les arrêts rendus par la C.C.J.A. dans ses deux contentieux ordinaires.

 

Le mécanisme des questions préjudicielles ont fait leur preuve en droit comparé, notamment en droit de l’union européenne où la Cour de justice des communautés européennes a développé une jurisprudence abondante au travers ses arrêts rendus sur questions préjudicielles.      

 

 

  1. L’instauration d’un mécanisme d’examen préalable d’admissibilité des recours en cassation

 

La C.C.J.A. risque d’être confrontée à l’avenir au problème d’arriérés judiciaires qui seraient la conséquence du succès du droit O.H.A.D.A. Afin de prévenir ce risque et de garantir la célérité dans le fonctionnement de la C.C.J.A., le législateur O.H.A.D.A. peut créer un mécanisme de filtrage des recours en cassation introduits auprès de la C.C.J.A.

 

En droit belge, un tel système a été instauré au Conseil d’Etat section administration dans le cadre du contentieux en cassation administrative en droit des étrangers. Lorsque le recours en cassation est introduit, un juge unique en examine l’admissibilité c’est-à-dire et la recevabilité du recours, et la possibilité que les moyens de cassation qui y sont développés soient jugés sérieux, et ce, dans un délai relativement court de sorte que les parties à l’instance soient fixées rapidement.

 

En rendant un arrêt d’admissibilité, le juge unique ne préjuge en rien du sort du pourvoi en cassation. Cela ressort d’ailleurs de la motivation de son arrêt. En conséquence, le recours en cassation sera renvoyé à une chambre de la même juridiction qui en examinera le bien fondé. Dans le cas contraire, le juge explique également les raisons pour lesquelles le recours ne peut être admis à l’examen au fond.

 

Le système de filtrage présente un double avantage :

 

-la célérité : le juge chargé de juger de l’admissibilité peut aller très vite.

 

-le désengorgement du rôle : ne seront inscrits au rôle que les recours en cassation jugés

admisibles au terme d’un premier examen.

 

II.2. A propos de l’arbitrage

 

Pour rappel, l’un de deux objectifs du traité O.H.A.D.A. est la promotion de l’arbitrage comme mode de règlement des conflits. L’idée est aussi de lutter contre le monopole actuel qui voit la plupart des procédures d’arbitrage se dérouler en Europe ou en Amérique, même lorsque les litiges opposent un Etat africain à une entreprise étrangère au continent et qu’elles sont relatives à l’inexécution d’un contrat soumis au droit dudit Etat.

 

§1.Analyse de lege lata

 

Afin d’atteindre la finalité sus indiquée, le législateur O.H.A.D.A. a d’une part effectué une harmonisation des règles de procédure nationales d’arbitrage des pays membres à travers l’acte unique du 11 mars 1999 relatif au droit de l’arbitrage. Dès son entrée en vigueur, l’acte unique rend caduque la législation nationale de l’Etat qui devient membre de l’OHADA. Nous reviendrons dans les prochaines lignes sur le rôle que l’acte unique assigne à la C.C.J.A.  

 

D’autre part, le traité O.H.A.D.A. organise un système d’arbitrage public dans lequel il confie à  la C.C.J.A. un rôle hybride en la consacrant comme centre public d’arbitrage doté des compétences à la fois administratives et juridictionnelles.

 

En conséquence, comme tout centre d’arbitrage, la C.C.J.A. est dotée d’un règlement qui lui est propre. En effet, il ressort de l’article 21 alinéa 2 du traité que la C.C.J.A. ne tranche pas elle-même les différends. Elle n’est donc pas un arbitre. Dans le système arbitral, elle joue principalement un rôle de contrôle administratif même si le traité lui reconnaît, en ce qui concerne l’exequatur des sentences arbitrales par exemple, un rôle juridictionnel.

 

 La C.C.J.A. comme centre d’arbitrage public ne jouit pas du monopole, elle  côtoie dès lors d’autres centres d’arbitrage privés au sein des Etats membres. En effet, les parties ont le libre arbitre de choisir de soumettre leur litige à l’arbitrage organisé au sein de la C.C.J.A. ou au sein d’un autre centre d’arbitrage privé national voire international.

 

  1. Rôle de la C.C.J.A. dans l’acte uniforme relatif à l’arbitrage

 

La C.C.J.A. reçoit et juge les pourvois en cassation introduits contre les décisions rendues par les juges compétents des Etats-parties saisis dans le cadre des recours en annulation contre des sentences  arbitrales prononcées par les arbitres dont les sièges se trouvent dans l’espace O.H.A.D.A..

 

C’est l’unique rôle dévolu à la C.C.J.A. par l’acte uniforme relatif à l’arbitrage.

 

 

  1. Rôles de la C.C.J.A. dans le système arbitral de l’O.H.A.D.A.

 

La C.C.J.A. assume essentiellement trois rôles majeurs à savoir un rôle administratif, un rôle consultatif et un rôle juridictionnel.

 

2.1.Rôle administratif

 

De manière générale, c’est le rôle clef de la C.C.J.A. dans le système d’arbitrage O.H.A.D.A.

 

Les attributions administratives de la Cour concernent principalement la désignation  et la nomination des arbitres, ainsi que la gestion des questions de procédures.

 

La constitution du tribunal arbitral qui doit statuer relève de la compétence de la C.C.J.A. Les parties au litige peuvent choisir les arbitres sur la liste tenue par la Cour et mise à jour annuellement. La Cour désigne elle-même et  nomme soit un arbitre unique, soit trois si nécessaire, dans l’hypothèse où les parties n’en désignent pas  ou n’arrivent pas à le faire.

 

Aux termes de l’article 49 du Traité O.H.A.D.A., les arbitres désignés par la Cour jouissent, comme les juges et les fonctionnaires et employés du secrétariat permanent de l’Ecole régionale supérieure de la magistrature et de la Cour commune de justice et d’arbitrage, des privilèges et immunités diplomatiques. Les juges ne peuvent en outre être poursuivis pour les actes accomplis en dehors de l’exercice de leurs fonctions qu’avec l’autorisation de la Cour. Selon le Bâtonnier MATADI[7], cet article confère l’immunité aux arbitres nommés par la Cour et non aux arbitres qui sont désignés par les parties. Il crée ainsi un déséquilibre entre les arbitres en instituant, sans s’en rendre compte, une justice à deux vitesses. Il est à penser qu’il ya violation du principe de l’égalité devant la justice.

 

Nous nous interrogeons sur la pertinence de cette objection dans la mesure où il nous semble que la constitution du tribunal arbitral est de la compétence de la C.C.J.A. En effet, même dans l’hypothèse où ce sont les parties qui désignent les arbitres, il appartient à la Cour de confirmer leur choix en procédant à la nomination des arbitres choisis.[8] Dans cette mesure, nous  pensons que le régime d’immunité prévue dans l’article 49 du traité doit également s’appliquer aux arbitres désignés par les parties dans la mesure où la Cour a confirmé par la suite cette désignation par une nomination.

 

Pour la désignation des arbitres, la C.C.J.A. tient compte de la nationalité à la fois du lieu de résidence des parties, du lieu de résidence de leurs conseils et des arbitres, de la langue des parties, de l’objet du litige et du droit applicable.

 

Les arbitres doivent se tenir indépendants vis-à-vis des parties en cause. Ils doivent poursuivre leurs missions jusqu’à terme. Ils doivent, en outre, informer la C.C.J.A. de tout fait susceptible de remettre en cause son indépendance dans l’esprit des parties. L’arbitre fait connaître immédiatement par écrit au secrétaire général de la Cour et aux parties, les faits et circonstances de même nature qui surviendraient entre sa nomination ou sa confirmation par la Cour de la notification de la sentence finale.

 

Par ailleurs, la C.C.J.A. s’occupe de  la gestion des questions de procédure suivantes :

 

-  la réception de la demande d’arbitrage. Cette réception qui se fait par le secrétaire général de la Cour sanctionne le début de la procédure d’arbitrage ;

 

-elle organise la procédure de récusation des arbitres ;

 

- elle fixe le montant de la provision des frais d’arbitrage, et lorsque la sentence arbitrale est prononcée, la Cour liquide les frais d’arbitrage et décide à laquelle des parties le paiement incombe ou dans quelle proportion ils sont partagés entre elles ;

 

-elle organise la procédure de remplacement d’arbitre en cas de décès, de récusation ou de démission ;

 

-elle verse les honoraires des arbitres après la fin de leur mission.

 

Le  législateur O.H.A.D.A. a, à juste titre nous semble-t-il, manifestement voulu sécuriser les parties en confiant les tâches administratives,  telles que décrites supra, de son système d’arbitrage à la C.C.J.A. elle-même qui est une haute juridiction constituée des hauts magistrats de nationalités différentes.

 

2.2.Rôle consultatif

 

Avant de prononcer sa sentence, le tribunal arbitral doit, aux termes de l’article 24 du traité soumettre son projet de sentence à l’examen de la C.C.J.A. Celle-ci ne peut proposer que des modifications de pure forme. La Cour peut cependant donner son opinion

 

Cette opinion, bien que dépourvue de caractère contraignant en droit pour l’arbitre, a une certaine pesanteur dans la mesure où c’est la Cour qui verse les honoraires en fin de procédure et qui a la compétence exclusive pour statuer sur l’exequatur de la sentence.

 

Pour les parties, l’intervention de la Cour pour examiner le projet de sentence est une très précieuse garantie.[9]

 

2.3.Rôle juridictionnel

 

Nous proposons de décrire le rôle juridictionnel de la C.C.J.A. au travers les voies de recours qui sont ouverts devant elle contre la sentence arbitrale O.H.A.D.A. Dans un souci de clarté de l’exposé, un détour  préalable s’impose quant aux effets de la sentence arbitrale.

 

2.3.1.      Effets de la sentence arbitrale O.H.A.D.A.

 

-l’autorité de la chose jugée définitive et de plein droit : aux termes de l’article 25 alinéa 1er du traité, la sentence arbitrale « O.H.A.D.A. » a dès son prononcé la valeur d’un jugement dans les Etats membres, et ce de plein droit, c’est-à-dire sans qu’il faille une décision judiciaire de reconnaissance ou une convention internationale de reconnaissance.

 

En conséquence, les sentences arbitrales sont efficaces de plano sur les territoires des autres Etats membres. En guise d’illustration, l’autorité de la chose jugée attachée à une sentence arbitrale O.H.A.D.A. constituera un obstacle au renouvellement au Burkina Faso ou au Sénégal d’une affaire ayant déjà fait l’objet d’un arbitrage. L’article 25 (al.1er) énonce ainsi une innovation de taille. En règle générale en effet, pour qu’une sentence internationale ait autorité de la chose jugée dans un autre Etat, il faut que cet Etat se soit engagé à reconnaître l’autorité de cette sentence. Telle est, par exemple, la règle énoncée à l’article 3 de la Convention de New York.[10]

 

Comme la sentence arbitrale « O.H.A.D.A. » est reconnue de plein droit, il en résulte que des mesures conservatoires peuvent être prises. Tel est l’intérêt attaché à la reconnaissance de plein droit. Le bénéficiaire de cette sentence qui veut se prémunir contre l’insolvabilité du débiteur peut, avant l’exécution de celle-ci, prendre à l’encontre de son débiteur des mesures conservatoires sur des biens et créances existant dans un autre Etat. Il peut dès lors qu’il dispose d’un titre ; cette condition est remplie puisqu’en matière d’arbitrage international, la sentence est pourvue de l’autorité de la chose jugée.[11]

 

-la relativité : la sentence arbitrale O.H.A.D.A. , à l’instar des autres sentences arbitrales, est d’essence contractuelle. Conformément au principe de la relativité des conventions, les tiers  à l’instance arbitrale, ne peuvent s’en prévaloir, ni en souffrir. C’est d’ailleurs le leitmotiv de la possibilité de recours ouvert aux tiers à travers la tierce opposition.

 

2.3.2.      Les voies de recours ouverts contre la sentence arbitrale O.H.A.D.A.

 

 

Avant l’adoption du règlement d’arbitrage de la C.C.J.A.,  le professeur J. LOHOUES-OBLE commentant l’article 25 alinéa 1er écrit : « dire en effet que la sentence a l’autorité définitive de la chose jugée signifie qu’elle n’est susceptible d’aucune voie de recours. C’est là une différence fondamentale avec les jugements qui, malgré l’autorité de la chose jugée, peuvent être remis en cause par l’exercice d’une voie de recours. (…) Dans tous les cas, l’absence de recours entre dans l’optique arbitrale : si les parties confient les règlements de leurs litiges à un arbitre, c’est dans le but de le soustraire aux juridictions de l’Etat. Tel ne serait plus le cas si la sentence pouvait faire l’objet d’un appel, cet appel pouvant tendre, tout comme l’appel des décisions de justice ordinaires, à la reformation de la sentence. Or la sentence est rendue en dernier ressort ; un appel n’est plus possible ».

 

La position doctrinale du professeur LOHOUES n’a pas été suivie totalement par le législateur O.H.A.D.A. qui,  à défaut de reconnaître certes aux parties la latitude de s’aménager une possibilité d’appel, confie néanmoins à la C.C.J.A. la mission juridictionnelle de connaître certaines voies de recours contre la sentence arbitrale, à savoir :

 

-le recours en contestation de validité : cette voie de recours est prévue dans l’article 29.1 du règlement arbitral. Ce recours n’est recevable que si dans la convention d’arbitrage, les parties n’y ont pas renoncé.

 

-la révision : prévue par l’article 32 du règlement arbitral renvoyant à l’article 49 du Règlement de procédure devant la C.C.J.A., la révision est ouverte en raison de la découverte postérieurement au prononcé de la sentence, d’un fait inconnu et décisif. Le délai pour exercer ce recours est de trois mois à compter de la reconnaissance du fait susceptible de fonder la révision. Toutefois, une demande de révision est irrecevable à l’expiration du délai de 10 ans à compter du prononcé de la sentence.

 

La Cour peut subordonner l’ouverture de l’instance en révision à l’exécution préalable de la sentence comme il est dit à l’article 49, al.3 du Règlement de procédure.

                          

-la tierce opposition : cette voie de recours est exercée par un tiers qui n’a pas été appelé contre une sentence qui préjudicie à ses droits (art.33 du Règlement arbitral et 47 du Règlement de procédure). Aucun délai n’enferme l’exercice de ce recours et la procédure est contradictoire.

 

La sentence arbitrale dite O.H.A.D.A. n’est pas susceptible d’opposition, ni d’appel, ni de pourvoi en cassation.

Quid du recours en annulation contre une sentence arbitrale dite O.H.A.D.A., c’est-à-dire rendue dans le cadre d’un arbitrage près de la C.C.J.A. ?

 

 Ni le traité, ni le règlement de la procédure devant  la C.C.J.A. ne prévoient de recours en annulation contre la sentence arbitrale O.H.A.D.A.

 

Cependant, l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage qui a vocation à s’appliquer à toute procédure  arbitrage[12]  lorsque le siège du tribunal se trouve dans l’un des Etats-parties, prévoit la possibilité d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale. En effet, celle-ci peut faire l’objet d’un recours en annulation, qui doit être porté devant le juge compétent de l’Etat-partie. La décision du juge compétent dans l’Etat-partie n’est susceptible que de pourvoi en cassation devant la C.C.J.A.

 

Nous pensons que l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage est le droit commun de l’arbitrage dans l’espace O.H.AD.A. Les parties à une instance d’arbitrage près de la C.C.J.A. peuvent effectivement se prévaloir de l’acte uniforme, et donc, elles peuvent exercer un recours en annulation tel qu’organisé par l’acte uniforme, et ce, même si ce type de recours n’est pas expressément repris par le traité ou par le règlement de la procédure d’arbitrage près de la C.C.J.A.  En d’autres termes, la sentence arbitrale  dite O.H.A.D.A. est, à l’instar des autres sentences arbitrales rendues par les autres arbitres dont le siège se trouve dans les Etats-parties, soumise aux dispositions de l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage.  

 

 

2.3.3.      L’exécution des sentences arbitrales

 

La sentence arbitrale O.H.A.D.A. a autorité « de plano » dans tous les Etats parties, mais elle ne peut donner lieu à un acte d’exécution sur les biens ou de coercition sur les personnes qu’après le prononcé d’une décision d’exequatur. L’article 25, al.4 du traité confie à la C.C.J.A. la compétence exclusive en matière d’exéquatur. L’esprit du traité O.H.A.D.A. est d’encourager et de promouvoir l’arbitrage. Ainsi, le traité énumère de manière limitative les cas de refus d’exequatur (cfr. Article 25 dernier alinéa).

L’attribution, par l’article 25 al. 3 du traité, de la compétence exclusive de l’exequatur des sentences arbitrales O.H.A.D.A. à  la C.C.J.A. est une bonne chose car l’idée est d’empêcher par exemple qu’un perdant d’une instance arbitrale qui veut éviter l’exécution de la sentence introduise une action post arbitrale devant un tribunal étranger. La violation de l’article 25 al. 3 du traité  aura pour conséquence que la sentence ne pourra être exécutée[13] .

 

§ 2. Analyse de lege feranda

 

Aussi bien dans l’acte unique relatif à l’arbitrage que dans le système arbitral de la C.C.J.A., il n’est pas reconnu aux parties qui désirent recourir à l’arbitrage comme mode de règlement du conflit qui les oppose, la possibilité qu’elles s’aménagent un double degré de juridiction, c’est-à-dire la possibilité d’un appel contre la sentence arbitrale. Nous pensons qu’il s’agit d’une carence du point de vue de la qualité de la sécurité juridique ou judiciaire. Il s’agit même d’un recul pour certains Etats, tel par exemple la R.D.C., dont la législation prévoit en matière d’arbitrage, la possibilité pour les parties de prévoir à l’avance dans la convention d’arbitrage un recours en appel contre la sentence arbitrale. Le législateur O.H.A.D.A ferait, nous semble-t-il, mieux de reconnaître cette latitude aux parties qui souhaitent recourir à l’arbitrage au sein de l’espace O.H.A.D.A.

 

III     Quelques  garanties de sécurité judiciaire ayant trait à la procédure proprement dite devant la C.C.J.A.

 

Nous abordons à présent les aspects du fonctionnement de la C.C.J.A ayant trait à la procédure proprement dite non sans souligner pour chacun de ces aspects les mérites du législateur O.H.A.D.A. ou ses insuffisances au regard de la finalité du traité.    

    

III.1.  Le Ministère obligatoire de l’avocat

 

L’article 23 du règlement de procédure de la C.C.J.A. consacre à proprement parler un monopole de conseil ou d’assistance aux avocats qui doivent produire à la Cour un mandat spécial de leurs clients.  Ce monopole a été confirmé dans un  arrêt rendu le 21 mars 2002, dans lequel la Cour a déclaré irrecevable le mémoire non signé par un avocat.[14]

 

Nous pensons que le législateur O.H.A.D.A., rencontre mieux le souci de sécuriser les investisseurs, en  faisant écho à l’idée pertinente selon laquelle l’avocat est un véritable organe d’accès à la justice. En effet, contrairement à un défenseur judiciaire ou à un conseil juridique, l’avocat offre de prime abord davantage de garantie en terme de crédibilité. En effet, il est inscrit à un barreau doté d’une personnalité juridique, et dont les conditions d’accès sont définies par la loi. Disciplinairement, il relève du bâtonnier et du conseil de l’ordre. Dans tous les cas, l’avocat est tenu d’observer scrupuleusement les devoirs qui lui imposent les règles, traditions et usages professionnels envers les magistrats, ses confrères et clients. L’honneur, la loyauté, l’indépendance et la délicatesse sont pour lui des devoirs impérieux.

 

Par ailleurs le traité O.H.A.D.A. ne règle pas la problématique de la libre circulation du service d’avocat au sein de l’espace O.H.A.D.A.

 

En effet, l’accès et l’exercice de la profession d’avocat par les non nationaux d’un Etat font en général l’objet d’une règlementation propre à chaque Etat. Il est à déplorer que le législateur O.H. A.D.A. n’ait pas pensé à harmoniser les différentes législations nationales qui, pour la plupart d’ailleurs, se contentent d’exiger la conclusion des conventions de réciprocité d’accès et d’exercice du métier d’avocat entre les Etats. L’O.H.A.D.A. constitue, nous semble-t-il, un espace adéquat pour l’adoption d’une convention multilatérale réglant les questions de réciprocité d’accès et d’exercice du métier d’avocat entre les Etats membres.

 

Comment combler le vide juridique sur cette problématique ?

 

Nous pensons qu’il faut admettre du point de vue du droit international, qu’il existe déjà entre le Etats  membres de l’O.H.A.D.A., en entendant l’adoption d’une convention multilatérale spécifique en la matière,  un usage qui consacre de plein droit une réciprocité d’accès et d’exercice du métier d’avocat au sein de l’espace O.H.A.D.A. entre les avocats inscrits aux barreaux des pays membres.

 

Une question demeure cependant quant à savoir si cette réciprocité consacrée par l’usage international au sein de l’espace O.H.A.D.A. se limite aux contentieux de l’O.H.A.D.A. ou s’étend également aux autres contentieux. Cette zone d’ombre appelle, à notre humble avis, un texte formel du législateur O.H.A.D.A. qui aurait le mérite de rencontrer l’ensemble de la problématique.

 

L’article 23 alinéa 1er du règlement de la C.C.J.A. démocratise la pratique de la cassation judiciaire par les avocats. En effet, dans plusieurs systèmes juridiques tels qu’en R.D.C par exemple, les recours en cassation ne peuvent être introduits que par les avocats près la Cour suprême de Justice. La C.C.J.A. qui héritera de  la compétence de  cassation judiciaire dans les matières O.H.A.D.A. au détriment de la Cour suprême peut, aux termes de l’article 23 al.1er de son règlement, être saisie même par un avocat inscrit près d’une cour d’appel alors que la procédure initiée est une procédure en cassation judiciaire.  

 

III.2.  Le caractère écrit de la procédure

 

Le principe du caractère écrit de la procédure est rappelé de manière expresse dans les articles 27 et 34 du règlement de la procédure de la C.C.J.A.

 

Le caractère écrit de la procédure s’accommode mieux, à  notre avis, avec le souci de célérité des débats ainsi qu’avec le caractère technique des matières O.H.A.D.A. Les longues plaidoiries bien souvent accompagnées d’effets de manche, spectaculaires certes mais inefficaces, sont ainsi évitées.

 

A titre exceptionnel cependant, et à la demande de l’une des parties, la Cour peut organiser dans certaines affaires une procédure orale selon les modalités prévues dans les articles 34 alinéa 2  à 38 du règlement de la procédure.

 

IV. Quelques garanties de sécurité judiciaire ayant trait aux statuts des membres de la C.C.J.A.et de son personnel

 

Le vocable membre de la Cour désigne les juges qui sont éligibles pour sept ans renouvelables une fois. L’article 36 du traité garantie à chaque juge l’inamovibilité jusqu’à la date d’entrée en fonction de son successeur. C’est une garantie indispensable pour assurer au juge l’indépendance nécessaire au succès de sa fonction.

 

Aux termes de l’article 39 du traité, le secrétariat de la Cour est assuré par le greffier en chef. Il existe par ailleurs un poste de secrétaire permanent dont le titulaire est nommé par le conseil des ministres pour une durée de quatre ans renouvelables une fois. Le secrétaire permanent nomme ses collaborateurs selon les critères de recrutement définis par le Conseil des ministres.

 

Aux termes de l’article 49 du traité, les fonctionnaires et employés du Secrétariat permanent de la Cour ainsi que les juges et les arbitres désignés par la Cour ne peuvent être poursuivis pour des actes accomplis en dehors de l’exercice de leurs fonctions qu’avec l’autorisation de la Cour. L’immunité constitue aussi un gage d’indépendance pour les juges et le personnel de la Cour.

 

A vrai dire, les juges et les employés de la Cour ont un statut de fonctionnaire d’une organisation internationale. Ils jouissent, à ce titre, des conditions de rémunération intéressantes et des bonnes conditions de travail. Nous pensons que c’est un gage de sécurité pour les investisseurs dans la mesure où les magistrats nationaux et les personnels des juridictions nationales, fonctionnaires nationaux, sont souvent mal rémunérés et donc peu motivés. Cet état de fait impacte négativement la bonne administration de la justice dans plusieurs Etats.

 

V. Plaidoyer pour la décentralisation administrative de la C.C.J.A.

 

La Cour gagnerait davantage dans son rôle de garant de la sécurité judiciaire dans l’espace O.H.A.D.A. en étant présent, du moins à travers ses services administratifs tels que le greffe par exemple, dans les Etats membres de l’O.H.A.D.A. Cette proximité voire cette ubiquité dans tous les pays membres de l’O.H.A.D.A. va renforce davantage le sentiment de sécurité judiciaire dans le chef des investisseurs.

 

 

 

VI Conclusion

 

Le législateur O.H.A.D.A a confié à la C.C.J.A. des compétences dans le but d’atteindre la double finalité du traité. L’étude des ces compétences à la lumière de cette double finalité nous a  permis en effet d’épingler les points forts de cette juridiction  mais aussi des points qu’il faut améliorer. En effet, comme toute œuvre humaine la C.C.J.A est une œuvre perfectible que les contributions comme la présente permettront de faire évoluer. 

 Patrick Lufuma Luvuezo, juin 2012

 


[1] J. LOHOUES-OBLE, «Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique », in OHADA. Traité et actes uniformes commentés et annotés, 2e éd., Juriscope, p.48

[2] ibidem

[3] MATADI NENGA GAMANDA, Droit judiciaire privé, 2006,Bruxelles,  Bruylant, 2006, p. 503, n°548

[4] VAN DROOGHENBROECK (J.-Fr.), « Cassation et juridiction. Iura dicit curia », L.G.D.J, Paris, 2004, p. 78 ; MARTY (G), La distinction du fait et du droit, essai sur le contrôle de la Cour de cassation sur les juges de fait, Paris, Sirey, 1929, p.363 et s.

[5] RIGAUX (F), La nature du contrôle de la Cour de cassation, Bruylant, Bruxelles, n°85

[6] J. LOHOUES-OBLE, op.cit., p. 42

[7] MATADI NENGA GAMANDA, Le droit à un procès équitable, Academia-Bruylant, Louvain-la-Neuve, 2002, n°35

[8] J. LOHOUES-OBLE, op.cit, p.52

[9] ibidem, p.53

[10]ibidem, p.55

[11] ibidem, p.54

[12] Donc en ce compris la procédure d’arbitrage auprès de la C.C.J.A.

[13] MATADI NENGA GAMANDA, Droit judiciaire privé, o.p., p. 687

[14] C.C.J.A, Arrêt n°008/2002 du 21 mars 2002, inédit, cité par J.LOHOUES-OBLE,op.cit, p. 79


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