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QUELQUES CONSIDERATIONS JURIDIQUES SUR LE DEAL SINO-CONGOLAIS

   Christian-jr Kabange Nkongolo

LLB Université de Kinshasa

LLM (cd) University of South Africa

 

Depuis plusieurs décennies, la République Démocratique du Congo se trouve confrontée à une crise socio-économique revêtant un caractère multidimensionnel. C’est dans ce contexte qu’au lendemain des élections présidentielles (2006), le Gouvernement congolais a conclu le 17 Septembre 2007 et le 22 Avril 2008 respectivement un Protocole d’accord et une Convention de collaboration[1] avec un groupe d’entreprises chinoises dans la vue de réaliser des projets d’exploitation minière et d’infrastructures. Ces deux actes juridiques qui prévoient la construction et la modernisation d’hôpitaux, universités, logements sociaux, routes, chemins de fer en échange de l’exploitation des ressources minières, n’ont pas cessé d’attirer d’innombrables commentaires allant dans divers sens. Du point de vue juridique, la matière étant abondante, la présente analyse se focalisera sur des considérations suivantes : la nature juridique de ces actes, la participation des parties au capital, la clause de répartition des bénéfices et l’opportunité d’une renégociation. 

I. Nature Juridique

Suivant une certaine opinion, le Protocole d’accord et la Convention de collaboration passés avec le groupe d’entreprises chinoises sont à regarder comme des conventions internationales qui dès lors devraient être soumis à la ratification par le Parlement suivant le prescrit de l’article 214 de la Constitution du 18 février 2006. Cependant, une telle approche ne s’accorde pas avec la règle de droit international qui veut que seuls les traités ou accord internationaux passés entre sujets de droit international, savoir entre Etats ou entre Etats et Organisations Internationales, soient soumis à la ratification. S’agissant d’un accord conclu entre l’Etat congolais et des entrepreneurs chinois privés, la notion de ratification ne saurait élire domicile dans le cas d’espèce. Les contrats “chinois” ne sont même pas à ranger dans la catégorie des accords internationaux non soumis à la ratification telle que prévue à l’article 213 de la Constitution. Car même dans ce cas, il s’agit des accords soumis au droit international public et non à une législation nationale comme c’est le cas avec les contrats ‘‘chinois’’.[2] Vu de près, ces actes juridiques ressemblent plus à un contrat d’Etat qui combine à la fois l’investissement étranger et le prêt.[3]

I.1 Contrat d’investissement étranger

Même si l’article 1 du Protocole ne définit pas explicitement l’objet de l’accord comme tel, son article 5 identifie l’activité qui sera poursuivie par la SICOMINES Joint-venture comme un “investissement minier”. Il en est de même de l’article 1 alinéa 1.2 de la Convention de collaboration. D’ordinaire, ce type de contrat est classé dans la catégorie des contrats régis par le droit du commerce international.

 A ce jour, il n’existe pas de définition de l’investissement qui soit universellement acceptée. Selon Booysen, cette notion peut s’entendre du placement d’un capital pendant une période considérable, non dans le but d’un échange direct avec d’autres biens, mais en vue de l’extraction ou la production des biens ou services.[4] Il doit s’agir d’une activité commerciale à long terme et non pas d’une opération ponctuelle. Généralement, on distingue entre investissement étranger direct et investissement étranger indirect. Le code congolais des investissements[5] définit l’investissement étranger direct comme « Tout investissement dont la participation étrangère dans le capital social d'une entreprise dans laquelle l'investissement réalisé est au moins égale à 10 % » et l’investisseur étranger direct comme « Toute personne physique n'ayant pas la nationalité congolaise ou ayant la nationalité congolaise et résidant à l'étranger et toute personne morale publique ou privée ayant son siège social en dehors du territoire congolais, et effectuant un investissement direct en République Démocratique du Congo ».  Ces deux définitions ne font cependant pas ressortir le critère fondamental qui permet de distinguer l’investissement étranger direct de l’investissement étranger indirect. Il s’agit de l’influence significative que l’investisseur étranger est appelé à exercer sur l’entreprise.[6] En réalité, l’investissement étranger devrait être considéré comme direct lorsque le capital investi dans une entreprise par une personne physique ou morale de nationalité étrangère pendant une période considérable confère à cette dernière le contrôle sur ladite entreprise.[7] A contrario, l’investissement étranger est indirect lorsque le capital est investi dans une entreprise par une personne physique ou morale étrangère, mais sans que cela ne lui confère le contrôle sur ladite entreprise. Le code congolais des investissements semble avoir suivi l’approche du Fond Monétaire International qui considère l'acquisition par un étranger d'au moins 10 % du capital d'une société comme étant un investissement étranger direct. Cependant, ce critère qui est largement répandu internationalement semble être arbitraire pour la simple raison que l’on peut détenir 10% du capital sans pour autant exercer une influence significative sur la société.  De manière générale, le contrôle est exercé par l’associé qui détient la part sociale la plus importante (cas des actionnaires majoritaires dans la SARL). Ce contrôle se traduit souvent par le nombre de voix et le droit d’ingérence dans les processus de décision et de gestion dont jouit l’investisseur étranger.[8] Dans le cas des contrats ‘‘chinois’’, le code congolais des investissements ayant consacré le critère de 10%, la qualification ne saurait être  faite autrement. Le Protocole d’accord tout comme la Convention de collaboration révèle que parmi les contractants d’une part on a l’Etat congolais et de l’autre, des entreprises chinoises qui s’engagent à placer un capital dans une société à créer sous forme de joint-venture[9]. Il s’agira d’une société par actions dans laquelle la partie congolaise participera à 32% du capital et l’investisseur chinois à 68%. La participation étrangère étant supérieure à 10%, il s’agit d’un investissement étranger direct.

I.2 Contrat de Prêt :

L’existence d’un contrat de prêt dans les contrats ‘‘chinois’’ trouve sa consécration en ce que  les fonds qui auront servi au financement aussi bien du projet minier qu’à celui d’infrastructures seront remboursés au groupe d’entreprises chinoises à la suite des bénéfices générés par l’activité de la SICOMINES Joint-venture.[10] Cependant la difficulté demeure ici du fait que le prêt consenti à une société peut prendre plusieurs formes, selon qu’on le fait comme actionnaire[11] ou créancier de la société[12]. Les modalités de participation du groupe d’entreprises chinoises et celle des banques[13] qui les accompagnent doivent être clairement définies et distinguées. Cela permettra de déterminer la nature du prêt consenti à la SICOMINES Joint Venture afin de savoir dans quel cas on serait en présence d’une action ou d’une simple créance.  

 

II. Participation au Capital

 

Avant d’aborder la question relative à la répartition des bénéfices, il sied de relever quelques difficultés pratiques touchant aussi bien à la participation au capital de la partie congolaise que celle chinoise.

II.1 Nécessité d’une participation congolaise à 40%

La participation de la Gécamines au capital avec 32% et celle du Groupe d’entreprises chinoises avec 68% ne s’accordent pas avec l’article 2 de la loi n˚77-027 du 17 Novembre 1997 portant mesures générales de rétrocession des biens zaïrianisés ou radicalisés  qui exige que pour toute entreprise exerçant ses activités en République Démocratique du Congo, la part détenue par les personnes physiques ou morales étrangères ne peut excéder 60% du capital, le reste des parts devant revenir aux congolais à 40% ou plus. Ce qui entraine que, du point de vue de l’orthodoxie juridique, le contrat de société SICOMINES Joint-venture serait illégal et donc ne saurait ressortir ses effets juridiques. Néanmoins, le non respect de cette règle dans plusieurs contrats de société depuis maintenant plusieurs années devrait plutôt conduire à la conclusion que cette disposition légale est devenue désuète.[14] Mieux encore, l’invalidité du contrat SICOMINES Joint Venture partant de ce grief ne saurait être invoquée en cas de différend entre les parties à cause de l’internationalisation[15] du contrat. En soumettant leur différend à la compétence du CIRDI, les parties ont entendu soustraire les contrats ‘‘chinois’’ de la juridiction du juge national.[16] Or dans la pratique, le CIRDI étant une juridiction de l’ordre public international, elle s’en tiendra à la règle de droit international selon laquelle un Etat ne peut invoquer une disposition de son droit interne pour justifier le non respect de ses engagements internationaux.[17] Si tel est le cas, la règle Pacta sunt servanda qui est aussi d’application en matière de contrats internationaux, se trouvera être violée et l’Etat hôte sera contraint de payer des dommages et intérêts à l’investisseur étranger.

La même remarque vaut pour le point de vue selon lequel la Convention serait nul du fait de l’absence du contreseing de tous les ministres concernés ainsi qu’alternativement de la délégation de pouvoir de ceux-ci à un de leurs collègues, tels que prescrit par l'ordonnance-loi nº 07/018 du 16 mai 2007 fixant les attributions des Ministres et l'ordonnance nº07/017 du 03 mai 2007 portant organisation et fonctionnement du Gouvernement, modalités et pratiques de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ainsi qu'entre les membres du Gouvernement, telle que modifiée et complétée par l'ordonnance nº08/006 du 25 janvier 2008.[18]   

II.2 Nature de l’apport du groupe d’entreprises chinoises

Suivant les explications fournies par le Ministre des infrastructures, des travaux publics et reconstruction devant l’Assemblée Nationale, les entreprises chinoises “prêtent sans intérêts à la Joint venture (30 % des investissements miniers)[19], puis empruntent, pour le compte du projet, et apportent la garantie auprès de banques et institutions chinoises”. Cependant, il reste que le statut de l’EXIMBANK est à clarifier. Celle-ci se trouve mentionnée comme partie au Contrat dans le Protocole d’accord, alors qu’elle n’est pas reprise parmi les parties à la Convention de collaboration. Au cas où l’EXIMBANK ne ferait pas partie du groupe d’entreprises chinoises ayant contractés, cela aura pour implication que la partie chinoise fera d’une part, un apport sur fonds propres (en espèces et/ou nature de 30%)[20] et de l’autre, elle fera un apport en crédit car elle mettra en jeu sa garantie personnelle pour obtenir de la banque chinoise le prêt nécessaire. Toutefois, la difficulté est que ce dernier type d’apport (garantie personnelle) n’est pas admis dans les sociétés à responsabilité limitée et sa valeur est exclue du capital.[21] Pour contourner une telle difficulté, il faudra considérer que le prêt octroyé par la banque chinoise viendra se greffer sur les fonds propres du groupe d’entreprises chinoises et constituer son apport en espèces et/ou nature au capital de la SICOMINES Joint-venture.

Une autre observation mérite d’être faite quant à la participation chinoise au capital. C’est que la notion de consortium auquel les parties ont fait recours pour identifier le groupement d’entreprises chinoises,  n’a pas été clairement définie.[22] En effet, le consortium peut être défini comme un ensemble d’entreprises (d’ordinaire sous forme sociétaire)[23] qui se mettent ensemble pour entreprendre des transactions commerciales telles que l’acquisition d'une société, réalisation d'un investissement, réponse à un appel d'offre, etc.[24] En pratique, le consortium est une association qui peut ou ne pas avoir la personnalité juridique. Dans ce dernier cas, chaque entreprise est considérée individuellement du point de vue de sa participation et de sa part sociale. Cette question est donc fondamentale pour arriver à déterminer la partie prépondérante dans le contrôle de la société. Si le consortium est doté de la personnalité juridique, la partie chinoise sera d’office l’actionnaire majoritaire. Au cas contraire, l’actionnaire majoritaire sera la partie congolaise ou l’entreprise chinoise prise individuellement qui aura la part sociale la plus considérable suivant sa participation au capital. Il faudra alors attendre la rédaction des statuts sociaux pour en être fixé.

III. Répartition des bénéfices

Les différentes conventions signées avec le groupe d’entreprises chinoises révèlent que les bénéfices réalisés par la Joint Venture seront repartis différemment sur trois périodes:

- Les bénéfices réalisés lors de la première période seront totalement affectés au remboursement complet des investissements miniers, y compris au paiement de leurs intérêts, du Groupement d’Entreprises Chinoises dans le développement du Projet Minier.

- 66% des bénéfices réalisés lors de la deuxième période seront affectés au remboursement des investissements de la première tranche des infrastructures et au paiement de leurs intérêts annuels de LIBOR (six mois) + l00 BP, et les 34 % restant à la rétribution de ses actionnaires, proportionnellement à leurs parts dans le capital social.

- Les bénéfices réalisés lors de la troisième période seront totalement distribués aux actionnaires au prorata de leurs parts dans le capital social.

III.1 Quelles sont les implications juridiques d’une telle répartition?

Comme mentionné ci-dessus, ces conventions combinent deux types de contrats: Le contrat de prêt et le contrat d’investissement étranger direct. C’est cela qui explique qu’une partie des bénéfices soit destinée au remboursement de l’investissement. D’un point de vue juridique, cela n’a rien d’anormal qu’une société affecte ses bénéfices au remboursement des dettes contractées. Cependant, la difficulté provient du remboursement anticipé de l’investissement minier du groupe d’entreprises chinoises et de l’affectation de la “totalité” des bénéfices de la première période à ce remboursement.[25]

a) Remboursement anticipé du capital

Le fait que le capital investi dans le projet minier soit remboursé dès la première période remet en question les théories classiques du droit des sociétés et viole le principe de l’intangibilité du capital.[26] Traditionnellement, la logique voudrait que le capital soit remboursé aux actionnaires à l’issue ou au terme pour lequel le contrat de société a été conclu, c’est à dire à la fin de la société. Les apports ne sont en principe restitués qu’après la liquidation. Ce qui entraîne que le remboursement anticipé de sa souscription au capital au groupe d’entreprises chinoises, remettra en cause le statut de cette dernière partie. La question qu’on pourrait légitimement se poser est celle de savoir qu’est-ce qui fera encore du groupe de ces entreprises des actionnaires au contrat de société une fois que leur participation au capital leur  sera remboursée ?[27] A ceci s’ajoute que ce remboursement supprimerait la garantie de la partie chinoise à l’égard des créanciers sociaux. En matière de société à responsabilité limitée, les associés ne répondent pas du passif social sur leur patrimoine propre. Ce qui a pour conséquence que le capital de la société demeure le gage principal des créanciers sociaux.

Ce qui est généralement admis au cours de la vie d’une société, c’est la réduction du capital soit par remboursement partiel, soit par imputations des pertes réalisées.

b) Affectation de la totalité des bénéfices de la première période : quid du caractère léonin ?

Dans le contexte du contrat de société, la clause léonine est celle qui attribue à l’une des parties la totalité des bénéfices ou l’exclue de la contribution aux pertes.[28] En général, ce qui est condamné ce n’est pas une simple inégalité entre les parties, mais la disparité entre leurs situations respectives. Contrairement aux droits belge et français, il n’existe pas en droit congolais de disposition qui frappe de nullité la clause léonine de manière expresse.[29] Ce qui a pour conséquence qu’une telle clause soustrairait simplement le contrat de la catégorie des contrats de société puisque ne remplissant pas les conditions de l’article 446 du code civil congolais livre III, titre V bis. En affectant la totalité des bénéfices de la première période au remboursement de la partie chinoise, on serait tenté de croire qu’on se trouve en présence d’une clause léonine. Pris isolement, l’article 12 alinéa 1 devrait apparemment conduire à la qualification de la Convention comme étant un “contrat léonin”. Cependant, deux objections s’y opposent :

1.         Partant du principe qu’une disposition d’un acte juridique ne devrait pas s’interpréter isolement, mais plutôt en rapport avec les autres dispositions du même acte, il est inexact de soutenir que la totalité des bénéfices est attribuée à une seule des parties. Une telle affirmation serait contredite par les dispositions du même article relatives aux deuxième et troisième périodes. Prises dans leur ensemble, ces périodes n’attribuent pas la totalité des bénéfices à une seule des parties.

 

2.         En droit des sociétés, une nette distinction doit être établie entre ‘‘le partage des bénéfices’’ et ‘‘l’affectation des bénéfices’’. Dès lors qu’un contrat de société prévoit le partage des bénéfices et la contribution aux pertes pour les deux parties, la qualification léonine s’exclut d’office, même si les parties décidaient d’affecter leurs bénéfices respectifs à tel ou tel autre objectif.[30] Dans les contrats ‘‘chinois’’, les parties ont opté pour un partage au prorata de leur participation au capital. L’intention des parties dans ce sens y est clairement explicitée dans les dispositions suivantes relatives aux deuxième et troisième périodes : « …elle répartira les 34 % restant à la rétribution de ses actionnaires, proportionnellement à leurs parts dans le capital social. » (Article 12, 2ème tiret de la Convention), « Au cours de la troisième période, elle distribuera la totalité de ses bénéfices à ses actionnaires, au prorata de leurs parts dans le capital social. » (Article 12, 3ème tiret de la Convention). Quant à la première période, même si le partage au prorata n’y est pas expressément mentionné, cela ne pourrait en aucun cas conduire à une qualification léonine. La disposition relative à cette période reprend distinctement le verbe « affectera », prouvant ainsi qu’il s’agit d’une affectation et non du partage. Nonobstant, il reste que cette disposition crée un potentiel préjudice à l’égard de la partie congolaise dans la jouissance des bénéfices. Pour pallier à cette difficulté, on serait tenté de recourir à la notion beaucoup plus générale de « lésion » plutôt qu’à celle de « clause léonine ».

En effet, la lésion se définit comme le préjudice pécuniaire que la conclusion d’un contrat à titre onéreux fait subir à une des parties, lequel préjudice résulte d’un déséquilibre des prestations entre elles. En matière de contrat de société, le pacte léonin peut dans certains cas, être appréhendé comme l’expression la plus aigue de la lésion en ceci qu’il cause inévitablement un préjudice pécuniaire par l’exclusion de l’une des parties de la répartition des bénéfices ou de la contribution aux pertes. Cette hypothèse ne se réalise que lorsque la partie à laquelle profite la clause léonine, l’a obtenu à la suite des besoins, des faiblesses, des passions ou de l’ignorance de l’autre partie.[31]  Cependant, toute lésion n’est pas obligatoirement constitutive de pacte léonin. Ceci à cause du fait qu’une partie au contrat de société peut subir un préjudice pécuniaire sans que cela soit nécessairement une exclusion dans le partage des bénéfices ou une imputation totale de la contribution aux pertes. Les subtilités qui existent dans l’approche comparative de ces deux notions ne rendent pas ici le recours à la notion de lésion si aisé. Pour qu’elle soit un motif valable dans le contexte des contrats ‘‘chinois’’, la partie congolaise devra prouver que le co-contractant avait connaissance de sa situation délicate et en a profité pour soutirer des avantages excessifs, abusant de ses besoins, faiblesses, passions ou ignorance. Ce qui, du point de vue du droit interne, pourrait emmener le juge, sur la demande de la partie congolaise, à réduire les obligations de cette dernière tel que prescrit par l’article 131 bis du code civil congolais, livre III. Seulement, cette solution serait paralysée par le fait que la loi applicable est la loi chinoise, la convention ayant été signé à Beijing. Bien plus, elle se heurterait à l’internationalisation du contrat telle que décrite ci-dessus. Toute la conditionnalité liée l’existence de la lésion ne saurait être internationalement évoquée par le gouvernement, car celui-ci est supposé disposer de toutes les compétences requises par la technicité que présente la conclusion d’un tel contrat. Le droit international moderne se montre en général, plus favorable à la protection de l’investisseur étranger qu’à celle de l’Etat hôte. La notion de lésion a donc elle aussi ses limites dans le contexte du deal sino-congolais.

 

 

 

IV. Renégociation

Ce qui est certain dans le cadre des contrats ‘‘chinois’’ est que le déséquilibre dans la modalité de répartition des bénéfices de la première période est clairement établi, au point de laisser planer l’ombre d’un préjudice pour la partie congolaise. Même si l’existence de la lésion était établie, il reste qu’il s’agit d’un grief que la partie préjudiciée est censée évoquer devant le juge.[32] Dans le cas des contrats ‘‘chinois’’, la Convention  de collaboration prévoit à l’article 20, alinéa 2, l’arbitrage par le CIRDI en cas de différend. A première vue, ceci aurait pour implication qu’une telle demande serait de la compétence du tribunal arbitral du CIRDI. Cependant, une telle démarche serait dépourvue de fondement juridique. Un tribunal arbitral ne peut en principe s’arroger le droit de réajuster un contrat en l’absence d’une habilitation légale[33] ou contractuelle des parties. Or dans le cas du CIRDI, même dans l’hypothèse d’une habilitation par les parties, il a été soutenu que son tribunal arbitral n’est pas autorisé à ajuster le contrat d’investissement pour la raison qu’une telle démarche n’est pas une dispute légale au sens de l’article 25 (1) de la Convention.[34] Le commentaire officiel de la Banque mondiale sur la portée de l’article 25 (1) de la Convention du CIRDI souligne en son paragraphe 26 que la dispute ne doit pas concerner un simple conflit d’intérêts entre les parties, mais plutôt l’existence ou l’étendue de leurs droits et obligations respectifs.[35] Dès lors, ce qui pourrait être envisageable à ce niveau est que les parties aux contrats ‘‘chinois’’ aient recours à la renégociation. En tant qu’acte contractuel renfermant la volonté des parties, tout contrat peut en principe être renégocié. Il ne s’agit pas d’un acte unilatéral mais plutôt, d’un acte qui dépend largement du consentement des parties. Les deux parties doivent se mettre d’accord sur les modalités d’une telle entreprise car si l’une d’entre elles change les conditions du contrat de manière unilatérale, elle s’expose à payer à l’autre des dommages et intérêts. Dans le cas des contrats ‘‘chinois’’, le fondement juridique d’une telle démarche proviendrait de l’article 24 de la Convention de collaboration qui prévoit la possibilité d’un avenant au contrat. C’est cette disposition légale qui explique l’ajustement des contrats ‘‘chinois’’ avec les exigences du FMI. Les parties se sont accordées pour supprimer la garantie de l’Etat dans le projet minier et réduire de neuf à trois milliards d’US dollars la valeur chiffrée du deal sino-congolais, mettant ainsi de coté la deuxième phase du projet d’infrastructure estimée à trois milliards d’US dollars.[36] A cela s’ajoute que l’article 19 alinéa 2 de la Convention de collaboration ouvre une brèche pour la renégociation en cas de force majeure.

 

 

V. Conclusion 

En guise de conclusion, il apparait que le deal sino-congolais n’est rien d’autre qu’un contrat de droit du commerce international et que les conditions d’une qualification léonine dans la répartition des bénéfices de la Joint-ventures ne sont pas réunies. Néanmoins, considérant le déséquilibre potentiel qui existe dans les modalités de répartition qui ont été arrêtées par les parties, il apparait nécessaire que les contrats ‘‘chinois’’ soient renégociés afin qu’un certain réajustement soit effectué au profit de la partie congolaise. Mieux, une renégociation s’impose de manière générale afin de fixer les différents aspects juridiques qui pourraient porter préjudice au bon déroulement de cette entreprise. Les parties aux contrats chinois doivent en permanence garder à l’esprit la possibilité de renégocier ou revisiter les contrats pour la simple et bonne raison que les contrats d’investissement étranger s’exécutent généralement sur une longue période, ce qui a le désavantage de les rendre vulnérable aux perturbations politiques ou économiques qui affectent l’équilibre du contrat. C’est en se livrant à un tel exercice que les parties arriveront à traduire les contrats ‘‘chinois’’ en un véritable instrument au service du développement économique de la République Démocratique Congo, tout en assurant à la partie chinoise un gain commercial rationnel.


 

[1] Ces deux actes juridiques traduisent ce que nous entendons ici par deal sino-congolais ou contrats ‘chinois’. Plusieurs autres actes juridiques antérieures existent et sont rattachés à ces deux actes. Cependant, la rareté de la publication de ces documents en RDC en rend l’accès difficile. C’est ce qui justifie que les analyses faites dans le cadre de cette réflexion prennent en considération uniquement ces deux actes, que d’aucuns pourraient considérer comme l’instrumentum de base. L’article 12 du Protocole prévoit qu’en cas de divergences entre le Protocole et les accords précédents, les dispositions du Protocole prévaudront.

[2] En effet, il ne s’agit pas ici de soutenir que les contrats internationaux ne peuvent pas connaitre une application des règles de droit international public, mais simplement de souligner le fait qu’un traité ou un accord international ne saurait être soumis à un droit national, excepté pour ce qui est des exigences constitutionnelles. L’article 21 de la Convention de collaboration stipule que “La loi applicable est la loi du lieu de l’acte”. Ce qui implique que trois alternatives sont envisageables: a) la loi applicable à la Convention est en principe la loi chinoise, dû au fait que la Convention a été signée à Beijing, b) la loi congolaise sera d’application pour tous les actes passés au Congo ainsi que pour toutes les dispositions impératives du droit congolais telles que celles qui touchent au régime monétaire de change, au régime fiscal, aux conditions de  constitution d’une société etc. (c) toute autre loi d’un lieu où un acte en rapport avec la Convention a été établi. S’agissant d’un contrat international, le droit international public sera d’application à titre de minima (ex. en cas d’expropriation) ou à la suite du Traité relatif à l’encouragement et à la protection mutuelle des investissements signé entre les Gouvernements congolais et chinois à la date du 18 décembre 1997 (en cas d’exercice de la protection diplomatique). Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’un accord international au sens du droit international public.

[3] L’Article 1 de la Convention de Collaboration stipule: “Les Parties reconnaissent et déclarent qu’en signant la présente Convention de Collaboration, elles poursuivent la réalisation des objectifs suivants: 1.1.1. Pour la RDC: trouver les ressources financières nécessaires à la réalisation des projets d’infrastructures nationales estimées importantes et urgentes. 1.1.2. Pour le Groupement d’Entreprises Chinoises: investir dans le domaine des métaux non-ferreux dans les territoires de la RDC”.

[4] Hercules Booysen, Principes du droit du commerce international comme un système moniste (Integral 2003), p 826.

[5] Loi n 004/2002 du 21 Février 2002 portant code des investissements.

[6] Prichard Robert, Développement économique, investissement étranger et droit (1996), p3.

[7] Le mot « entreprise » ici est à prendre dans son acception la plus large (Voir Kabange Nkongolo Lexique de Droit économique (Dieu est bon 2007), p52). L’utilisation de cette dernière expression en lieu et place de « société » se justifie par le fait que, même si cela est rare dans la pratique, l’investissement étranger direct ne prend pas obligatoirement la forme d’une société. (Voir le cas des petites et moyennes entreprises ou des petites et moyennes industries telles que définies à l’article 2(h) du code congolais des investissements).

[8] Dans la pratique du Centre International pour le Règlement des Différends liés à l‘investissement (CIRDI), le critère du contrôle vient en second plan dans la détermination de la nationalité de l’investisseur personne morale. L’article 25 (2) (b) de la Convention sur le règlement des disputes liées à l’investissement (1965) ne fait pas du ‘‘contrôle’’ un critère principal qui permet au tribunal arbitral du CIRDI de déterminer la nationalité d’une société. Suivant cet article, le contrôle exercé par un étranger ne sera déterminant que si la société a la nationalité de l’Etat hôte et que les parties se sont accordées pour la considérer comme une société étrangère. Par conséquent, le CIRDI entend faire jouer principalement le critère du siège social ou celui de l’établissement principal. Seulement, la nationalité étant liée à l’état des personnes, elle est à déterminer selon la législation nationale. Il faut donc se référer à la loi sous laquelle la société a été constituée. Le code congolais des investissements a consacré le siège social comme critère permettant d’identifier une société étrangère. (Voir article 2 (e) du code)

[9] Pour pénétrer un marché à l’étranger, une entreprise peut préférer s’associer avec un partenaire local (entreprise privée, personne publique…) sous forme de Joint venture plutôt que de créer une seule succursale ou une filiale. En droit congolais, ce terme ne correspond à aucune situation juridique précise. En effet, La structure d’une joint venture peut être soit uniquement contractuelle soit à la fois contractuelle et sociétaire. Dans ce dernier cas, elle se traduit par la mise en place d’une société commune, ayant une personnalité juridique distincte de celle des associés. L’Etat en tant que contractant peut participer directement dans le capital de la société de Joint venture ou indirectement par le biais d’une société paraétatique.

[10]  Voir les articles 5 du Protocole et 12 de la Convention.

[11] Le capital souscrit et libéré par les associés s’inscrit toujours au passif de la société vu qu’il constitue une dette que la société est appelée à rembourser à ses associes.

[12] Cas des emprunts obligataires.

[13] Seule l’EXIMBANK a été mentionnée dans le Protocole d’Accord, mais les explications fournies par le Ministre des Infrastructures, Travaux Publiques et Reconstruction soutiennent la participation potentielle de plusieurs banques chinoises.

[14] Par exemple, dans son allocution devant l’Assemblée Nationale en date du 9 Mai 2008, le Ministre des Infrastructures, Travaux Publics et Reconstruction souligna le fait que “Le taux de participation de la Gécamines au capital social de la JV minière est le plus élevé de toutes les autres conventions, soit 32% contre une autre tranche allant de 7 à 25%”.

[15] Opération qui consiste à soustraire le contrat de l’ordre juridique national pour le soumettre à l’ordre juridique international. L’internationalisation peut être partielle ou totale (sauf dans les domaines qui relèvent exclusivement de la souveraineté de l’Etat tel que par exemple, la régulation sur le contrôle de change).

[16] Article 20 alinéa 2 de la Convention de collaboration.

[17] Cette règle n’est pas d’application seulement pour les traités, elle a aussi été appliquée aux contrats internationaux conclus par l’Etat. (Voir Texaco Overseans Petroleum Company and California Asiatic Oil Company v. The Government of the Libyan Arab Republic, 19 January 1977, pg 73-74 de la decision; Revere Copper & Brass, Inc. v. Overseas Private Investment Corporation (OPIC), Arbitral Tribunal, 24 August 1978, 56 ILR 257 para43; Third Report of State Responsibility submitted by the International Law Commission to the General Assembly of the United Nations II Yr. Bk. Int'l L. Comm. 1971, at 193, 277; See also 1973 Report to the General Assembly, A/9010/Rev.1, II Yr. Bk. 1973, at 163, 188). Cette règle remet cependant en cause l’ordonnancement juridique classique, car il n’est pas admissible qu’un contrat ait une autorité supérieure aux lois impératives.

[18] Voir Laurent Okitonembo Westhongunda « Analyse juridique de la Convention entre la RD Congo et un groupe d'entreprises chinoises » (4/8/2008) http://www.laconscience.com/article.php?id_article=7666 .En principe, l’exercice des compétences ministérielles doit être en conformité avec les dispositions constitutionnelles et légales. Cependant, même lorsqu’un organe de l’Etat a agi en outrepassant ses compétences ou en contravention des instructions concernant son activité, une telle conduite n’engage pas moins internationalement la responsabilité de l’Etat. (Voir Yearbook of the International Law Commission, 1975, vol. ii, p.61)

[19] Voir article 17, alinéa 2 de la Convention de collaboration.

[20]  Voir article 12, alinéa 3 de la Convention de collaboration.

[21] Lukombe Nghenda, Droit congolais des sociétés, TI, (PUC 1999), p 56.

[22] Voir Article 1, alinéa 5 de la Convention de collaboration.

[23] Cette nuance intervient pour mettre en exergue le fait que formellement une personne physique peut prendre part à un consortium, si aucune règle ne l’interdit. Cependant, dans la pratique cela est très rare car il est plus aisé et sécurisant pour un individu de se lancer dans le commerce international sous une forme sociétaire que pris individuellement. (Par exemple, pour le besoin de limiter sa responsabilité)

[25] Article 12 de la Convention de collaboration.

[26] Le capital doit dans la mesure du possible demeurer fixe et ne subir des modifications qu’allant dans le sens d’une augmentation, car il faut garantir la fixité du gage des créanciers sociaux. Cependant, cet idéal n’exclut pas la vulnérable du capital liée aux risques de tout genre que l’on rencontre dans le déroulement des opérations commerciales.  L’importance du capital dans la société par actions à responsabilité limitée est mise en exergue en droit congolais par le fait qu’une modification du montant du capital est considérée comme une modification statutaire et par conséquent, elle exige l’accomplissement de nouvelles formalités pour son authentification et son autorisation. (Voir article 2 de l’Arrêté Royal du 22 juin 1926 et l’Arrêté Royal du 13 janvier 1938)

[27] Le Prêt d’actionnaire est généralement issu des dividendes des actionnaires et non du capital originaire.

[28] Voir Kabange Nkongolo, op cit., p 40, Lukombe Nghenda, op cit., p 64.

[29] Voir article 1855 du code Napoléonien.

[30] Par exemple, constitution des réserves avec des bénéfices non distribués.

[31] Voir article 131 bis du code civil congolais, livre III.

[32] La Convention prévoit qu’en cas de différend, les parties vont d’abord tenter un règlement a l’amiable. Si le différend persiste dans les six mois qui suivent le règlement à l’amiable, il sera, à la demande de l’une des Parties, soumis à l’arbitrage du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatif aux investissements) selon ses règles.

[33] Voir par exemple la section 1029 de la loi allemande sur l’arbitrage ou l’article 7(1) du modèle de loi sur l’arbitrage commercial international (UNICITRAL).

[34] Voir Georges Delaume “ICSID Arbitration, Practical considerations”, 1 J.Int’L ARB.101, 117, Marcantonia, “ICSID as a Forum for the Renegotiation and Adaptation  of Contracts”, in Adaptation and Renegotiation of Contracts in International Trade and Finance (Norbert Horn ed. 1985), 235, p 237.

[35] Report of the Executive Directors on the Convention on the Settlement of Investment Disputes, 1966 I.L.M, p524.

[36] Aucune version officielle de l’avenant n’a été publiée à ce jour. Cependant, l’information a été diffusée par le gouverneur de la banque centrale en date du 18/8/2009 au cours d’une conférence de presse tenue à l’issue d’un entretien avec le chef de la mission du FMI/Afrique.


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